A Zurbaran
Moines
de Zurbaran, blancs chartreux qui, dans l'ombre,
Glissez
silencieux sur les dalles des morts,
Murmurant
des Pater et des Ave sans nombre,
Quel
crime expiez-vous par de si grands remords ?
Fantômes
tonsurés, bourreaux à face blême,
Pour
le traiter ainsi, qu'a donc fait votre corps ?
Votre
corps, modelé par le doigt de Dieu même,
Que
Jésus Christ, son fils, a daigné revêtir,
Vous
n'avez pas le droit de lui dire : Anathème !
Je
conçois les tourments et la foi du martyr,
Les
jets de plomb fondu, les bains de poix liquide,
La
gueule des lions prête à vous engloutir,
Sur
un rouet de fer les boyaux qu'on dévide,
Toutes
les cruautés des empereurs romains ;
Mais
je ne comprends pas ce morne suicide !
Pourquoi
donc, chaque nuit, pour vous seuls inhumains,
Déchirer
votre épaule à coups de discipline,
Jusqu'à
ce que le sang ruisselle sur vos reins ?
Pourquoi
ceindre toujours la couronne d'épine,
Que
Jésus sur son front ne mit que pour mourir,
Et
frapper à plein poing votre maigre poitrine ?
Croyez-vous
donc que Dieu s'amuse à voir souffrir ;
Et
que ce meurtre lent, cette froide agonie,
Fasse
pour vous le ciel plus facile à s'ouvrir ?
.......
Théophile Gautier