A MA SOEUR
Quand j’aurai revécu,
une à une, les pages,
Du livre de nos vies,
en les réécrivant,
Ce qu’il me restera, de
force et de courage,
Je l’utiliserai pour
demeurer vivant.
Comme en un almanach, j’écrirai l’an
cinquante
Et quelques uns avant et quelques uns
après,
Voici notre photo, de ce temps, si
marquante,
Tant par nos airs craintifs, que par son
propre apprêt
J’irai directement, au meilleur du
discours,
Comme en un vrai roman, en plein cœur de
l’intrigue,
Je dirai la maison, le coin du feu, la
cour,
Le chemin du « cantou », le
thym et la garrigue.
Je dirai le sapin, noël aux cent
bougies,
La peur des revenants, en nos têtes,
ancrée,
Le moine dans le lit, la braise qui
rougit,
Et je dirai l’école avec l’odeur de
craie.
En mélangeant les mots de français, de
patois,
Je dirai « le Patil » ou
la grange d’Elise,
Je dirai le grenier, la neige sur le
toit,
Et l’odeur de l’encens, les cierges de l’église.
Je dirai la rivière et ses gouffres
mythiques,
Zébrés d’éclairs soudains des truites
argentées,
Nos longues chevauchées sur ce vélo
antique,
Que nous volions pour fui jusqu’aux
mondes enchantés.
Et je dirai la pluie et nos pieds dans
les flaques,
Nos assiettes remplies de pâtes au
gratin,
Les cloches revenues, nos dimanches de
paques,
Nos chocolats au lit, la tiédeur des
matins.
Etais-je Fripounet ? Etais-tu
Marisette ?
Notre mère lisait, pour nous, à haute voix,
Nous étions les héros de Vaillant, de
Lisette,
Fripounet, Marisette, ainsi je nous
revois.
Mais j’oublierai, sans doute, les images
avortées,
Refus d’enregistrer tes départs en
pension,
Les aubes de tristesse, un car qui
t’emportait,
L’amère découverte de la séparation.
Nos mythes et nos vies, en ces temps, se
confondent
Comme en ces poésies d’enfants sages ou
voyous :
« Lorsque ma sœur et moi, dans les
forêts profondes,
Nous avions déchiré nos pieds nus aux
cailloux… »
En nos réalités faites d’images brèves,
Nous étions ces enfants, tellement bien
décrits,
Pardon si j’ai rêvé, si encore je rêve :
« Ce vers là est à nous, c’est
moi qui l’ai écrit ».
Mais c’est Rouze cela, la maison que
j’évoque,
Maman, mémé, pépé, nos abris du malheur,
Ah ! Je dirais enfin, pour solder
cette époque,
Ce qui nous fut donné d’amour et de
chaleur.
Nos vies ne se comprennent qu’entourées
de douceur,
Ainsi furent formés nos Moi
circonstanciels,
Que s’estompe l’image du frère et de la
sœur,
Tout aura été dit, jusques à
l’essentiel.
C’est peu dire du temps, qu’il nous est
une insulte,
IL suffit d’un regard pou mesurer
l’offense
Mais quand nous débarquâmes, aux rivages
adultes,
Nos yeux ne savaient rien, hors nos
rêves d’enfance.
Quand j’aurai réécrit
l’histoire de nos jours,
De nos vies si humaines
de tant vouloir s’ouvrir,
Telle qu’elle est
gravée, en mon cœur, pour toujours,
Je fermerai le livre
pour ne plus le rouvrir.
Roger VIDAL
Le 2 novembre 2002