CHEMINEMENT



Le soc luisant se glisse en la glèbe fertile
Et la terre gercée exhale du sillon
Un souffle vaporeux dont la tiédeur utile
Fera croître la graine et chanter le grillon.

Sous la fougue du vent et de la force humaine,
La semence enfouie agonise et se tait.
Dessous le drap d'hermine étendu sur la plaine
On la dit sans vigueur : elle germe et renaît.

Le blé d'avril ondoie où la brise murmure ;
Sous l'aube chatoyante et ses rayons de miel
La nappe d'émeraude offre sa chevelure
A la nacre, à la moire, où s'irise le ciel.

Juin orne de fleurs le front des champs gravides :
Coquelicots, bleuets - tendres tisons d'azur -,
Et les grains assoiffés, de douce pluie avides,
Grossissent en silence enchâssés dans l'obscur.

Lentement le soleil, ourlé de sombre orage,
A ployé les blés mûrs qui houlent sous juillet.
Une moisson croulante incite le courage
Des hommes résolus, à l'esprit inquiet.

L'épeautre au ciel dressé - flèche de cathédrale -,
Atteint de déhiscence a pesé son froment :
Epi battu, chaque grain d'or est une étoile
Offerte à notre faim en quête d'aliment.
*
Nous irons pour glaner, au hasard des éteules,
Le blé dur et fécond de la fraternité.
Quand auront disparu les méchants et les veules,
Naîtra l'aube nouvelle au sillon enchanté.

Alors viendra le jour, sur le sol en jachère,
Où nous verrons grandir, nous montrant le chemin,
Le gerbier de l'amour : dans sa voix messagère
Peut-être entendrons-nous chanter l'âme du pain.

Monique Pierillas