Iambes (IX)
Comme un dernier rayon, comme un dernier zéphyr
Animent la fin d'un beau jour
Au pied de l'échafaud j'essaye encor ma lyre.
Peut-être est-ce bientôt mon tour.
Peut-être avant que l'heure en cercle promenée
Ait posé sur l'émail brillant,
Dans les soixante pas où sa route est bornée,
Son pied sonore et vigilant;
Le sommeil du tombeau pressera ma paupière.
Avant que de ses deux moitiés
Ces vers que je commence ait atteint la dernière.
Peut-être en ces murs effrayés
Le messager de mort, noir recruteur des ombres,
Escorté d'infâmes soldats,
Ébranlant de mon nom ces longs corridors sombres,
Ou seul dans la foule à grands pas
J'erre, aiguisant ces dards persécuteurs du crime,
Du juste trop faibles soutiens,
Sur mes lèvres soudain va suspendre la rime;
Et chargeant mes bras de liens,
Me traîner, amassant en foule à mon passage
Mes tristes compagnons reclus,
Qui connaissaient avant tous l'affreux message,
Mais qui ne me connaissent plus.
Eh bien! J'ai trop vécu. Quelle franchise auguste.
De mâle constance et d'honneur.
Quels exemples sacrés, doux à l'âme du juste,
Pour lui quelle ombre de bonheur,
Quelle Thémis terrible aux têtes criminelles,
Quels pleurs d'une noble pitié,
Des antiques bienfaits quels souvenirs fidèles,
Quels beaux échanges d'amitié,
Font digne de regrets l'habitacle des hommes?
La peur fugitive est leur Dieu,
La bassesse, la feinte. Ah! Lâches que nous sommes
Tous, oui, tous. Adieu, terre, adieu.
André Chénier